Le discours d’ouverture de Yan Lespoux, président de la FELCO

Identité et altérité. Si le contexte politique, social et culturel a présidé il y a un an au choix de ce thème, c’est peu dire qu’il s’impose plus encore aujourd’hui tant la question des identités s’est invitée au cœur des débats de notre société en général et de l’enseignement en particulier.
Au point d’ailleurs que le terme même d’identité et plus encore l’adjectif « identitaire » suscitent désormais la méfiance. De plus en plus, ils expriment pour nombre de nos concitoyens une forme de rejet de l’autre, un refus de la diversité. Les polémiques, souvent vaines, qui s’enchaînent semaine après semaine ne font que nous rappeler combien il est nécessaire de promouvoir une identité ouverte. Parce que nos ancêtres ne sont pas forcément des Gaulois et parce que, malheureusement pour les tenants de ce mythe qui aimerait tant figer l’identité, et heureusement pour nous, cela sera certainement de moins en moins vrai dans le monde ouvert dans lequel nous voulons vivre.
« Ah ! Tu enseignes l’occitan. Et pourquoi ? Et tu es fier d’être occitan ? » : c’est souvent comme cela que des gens – tout à fait normaux par ailleurs – s’adressent à moi quand ils apprennent mon métier. Généralement, je commence par leur répondre « pourquoi pas ? » ; et puis que non, je ne suis pas fier d’être occitan ou d’être français ou quoi que ce soit d’autre. D’abord parce que je pense que la fierté n’est souvent qu’un orgueil mal placé, ensuite parce que je n’ai rien fait pour être ce que je suis. Par contre, je me sens riche de mes multiples identités et je me plais à partager cette richesse. Et, au passage, je suis riche des identités des autres, de celles qu’ils veulent bien partager avec moi, comme ce sera le cas tout au long de ce colloque.
Une dernière anecdote personnelle. J’ai rencontré il y a quelques semaines l’écrivain Jamal Mahjoub. Cet homme a une identité multiple et même de multiples identités : il écrit aussi sous un pseudonyme, Parker Bilal, qui évoque la double culture, britannique et soudanaise, dont il a hérité de ses parents. Lui-même a vécu au Royaume Uni, au Soudan, en Catalogne, aux Pays-Bas, en Égypte… Ses parents ont dû fuir le Soudan car ils étaient menacés de mort après le coup d’État d’Omar al-Bashir, et Jamal Mahjoub place la question de l’identité au cœur de son œuvre. Il dit « L’identité est le sujet majeur d’aujourd’hui. Tout le monde est effrayé par la diversité. Le Soudan s’est effondré pour avoir refusé la diversité. »
Tous ici, nous défendons cette diversité, et à travers nos langues et cultures dites régionales, nous affirmons des identités, ouvertes et apaisées, de celles qui enrichissent et qui s’enrichissent mutuellement à travers l’échange. C’est de cela que nous parleront Jean-Léo Léonard ce soir, Josèp-Luis Sans Socasau, Pasquale Ottavi, Éric Soriano, Christian Lagarde et Philippe Martel demain matin et que la visite de Sète, lundi, mettra en perspective d’une manière palpable.
Cet enrichissement mutuel, que nous apportent nos double, triple, multiples identités et leur confrontation dans l’échange, cette ouverture que nous voulons offrir à nos élèves, à nos enfants, sont au cœur de la formation de citoyens ouverts et responsable dont l’école républicaine a la charge.
Pour cela aussi, il est important pour nous que ce 30ème colloque se tienne à Montpellier.
C’est ici qu’il y a cinquante ans, a été fondé le premier Centre Régional des Enseignants d’Occitan. Il s’agissait alors de soutenir le développement d’un enseignement que l’institution, malgré la loi Deixonne votée 15 ans auparavant, en 1951, ne soutenait que bien peu. Il faut dire que dans l’esprit de plus d’un législateur, la loi Deixonne n’était qu’un os donné à ronger aux militants de l’enseignement des langues et cultures régionales, en attendant qu’elles meurent de leur belle mort.
65 ans après, elles sont encore là et elles ont su se faire une place dans l’institution scolaire qui leur a accordé, pas toujours aisément, une certaine légitimité grâce notamment à la construction de parcours bilingues, à la création de CRPE spéciaux et de CAPES, bientôt peut-être, nous dit-on, une agrégation. Et pourquoi pas (rêvons un peu) une circulaire ? Voire (rêvons beaucoup), une reformulation de l’article 2 de la Constitution, calamiteux pour nos langues dans sa rédaction actuelle ?
Pour autant, à l’heure où la réforme du collège se met en place, quelques années après la réforme du lycée, il nous faut bien constater que la défense de nos enseignements est un combat quotidien. Là encore, il est heureux que ce colloque ait lieu à Montpellier, ville de culture et de culture occitane. Et dans une académie où, il faut bien le dire, semble s’agréger une bonne part des maux qui touchent l’enseignement de nos langues et cultures.
Dans une école qui se voudrait apaisée, le rapport de forces demeure constant. Enseignants et parents doivent sans cesse sur le métier remettre l’ouvrage dans un contexte où l’égalité républicaine est régulièrement remise en question.
C’est tel collège dans lequel des dizaines d’élèves étaient inscrits en occitan mais ou le chef d’établissement décide unilatéralement de fermer l’option.
C’est, dans une académie où en quinze ans le nombre de certifiés d’occitan est passé de 56 à 33 pour plus de 400 établissements secondaires, des professeurs qui sont pressurés, envoyés sur deux, trois, quatre établissements, certains très éloignés les uns des autres. Comment peuvent-ils alors défendre efficacement leur matière à un moment où la mise en concurrence des disciplines n’a jamais été aussi forte ?
C’est, pour ces enseignants fatalement isolés, dans cette école « apaisée et ouverte », la confrontation avec des chefs d’établissements qui les méprisent parfois ostensiblement et, alors que n’importe quel enseignant doit, lorsqu’il passe son concours, prouver qu’il sait agir en fonctionnaire responsable et avec éthique, ne risquent pas grand-chose à agir de cette manière.
C’est un Conseil Académique des Langues Régionales prévu par les textes que l’on peut se permettre de ne pas réunir.
Ce sont des enseignants de classes bilingues brimés par des collègues.
C’est une académie qui, si on la compare à sa voisine de la même région, compte moitié moins de cursus bilingues, parce que, toujours, dans l’école républicaine, tout se joue par le rapport de forces et tout tient parfois à la volonté d’un seul fonctionnaire qui se laisse peut-être davantage guider par ses préjugés que par le sens du service public et le respect des textes et des principes qui le régissent.
On pourra trouver ces propos trop critiques voire déplacés alors que nous recevons des représentants de l’État, de l’institution scolaire et des régions. Qu’on se rassure, ceux qui pourraient se sentir directement visés par mes propos n’auront pas pris la peine de se déplacer ici ce week-end. Mais il y a des choses qui méritent d’être dites et, je l’espère, d’être entendues. On peut se taire, on peut détourner les yeux et courber l’échine, mais ce serait le début du renoncement. Et ce n’est pas ainsi que des générations avant nous, puis les nôtres, ont réussi à faire en sorte que notre enseignement se développe.
Qu’il se développe et qu’il continue à former des citoyens ouverts qui se sentent d’ici, d’ailleurs, et du monde entier ; assez riches de leurs identités, de leurs langues, de leurs cultures pour les partager et recevoir aussi.
C’est dans cet esprit d’échange, parfois vif et ce n’est pas un mal, et d’ouverture que nous désirons que se tiennent ces trois jours de colloque. Qu’ils nous enrichissent, qu’ils nous fassent nous poser des questions, qu’ils nous stimulent et que nous en repartions plus sûrs de nous, encore et toujours prêts à œuvrer en faveur de l’enseignement de nos langues et cultures avec la conviction renouvelée de le faire pour le bien commun.